shhht... i'm not hearing my dreams anymore... // kohaku

Digne représentant de son espèce, le corps extrêmement long du Dragon (environ 24m de long et 6 de haut, pour le modeste poids de 2t et des poussières) fend les airs et tue les nuages, créé pour la vitesse et la souplesse, dissimulant sa véritable force. Taillé pour la course, la rapidité est son plus grand atout. Kohaku est couvert de fines écailles couleur d’ivoire du museau jusqu’au bout de la queue, kaléidoscope de reflets nacrés ; sa crinière fournie court le long de son dos et ses moustaches, deux fines lianes de chair épaisse et nerveuse semblent se mouvoir d’elles-mêmes.

Toujours armé de ce sourire parfois énervant, découvrant ses rangées de crocs brutaux et sa langue de serpent, il semble n’avoir peur de personne. Ses yeux, cerclés de noir, sont la parfaite représentation de l’expression : « les yeux sont les fenêtres de l’âme. » A une couleur correspond une émotion (à savoir : le bleu pour la paix ; le vert pour le plaisir ; le jaune pour le doute et l’anxiété ; l’orange pour la peur ; le rouge pour la colère et le violet pour la douleur). En revanche, sa truffe humide, ses bois de cerf qui ornent son crâne et ses pattes terminées par les griffes acérées d’un oiseau de proie sont plutôt drôles à voir, pour son plus grand mécontentement.

Reste à ajouter à son physique la paire d’ailes démesurées, plus en guise de "décoration" étant donné que Kohaku vole en utilisant les champs magnétiques.

Kohaku est et restera Dragon, créature légendaire, bête ailée de l’imaginaire mais si réelle, capable de dureté autant que de tendresse inattendue. Son esprit, envahi de savoirs amassés durant ses quatre cents ans, véritable trésor de connaissances perdues et oubliées, n’est pas le même que le vôtre et c’est pour ça qu’on ne peut totalement le comprendre. Mais malgré ces différences, le Dragon est relativement sociable. Il aime faire des rencontres, du moment qu’elles soient intéressantes, moyen de tuer la morosité de son existence. Kohaku ne rechigne jamais à discuter, même s’il préfère écouter et jouer le rôle de confident plutôt que de dévoiler son histoire à n’importe qui. Il affectionne particulièrement les énigmes, les questions floues tournées à l’envers et ces choses diverses et variées qui donnent la migraine aux personnes dites "normales". Avec Kohaku, impossible justement de converser normalement, parce que son passe-temps préféré est de parler, disons… à l’envers. Et d’embêter les gens avec son humour noir et son ironie moqueuse. Mais il ne sera jamais méchant sans raison.

Plutôt étonnante la bête, pas vrai ? Reprenons.

On a vu le côté… à peu près gentil, voyons à présent le côté opposé, ce qu’on peut appeler les défauts. Sachez qu’il n’est pas très difficile de l’énerver. Kohaku a beau être posé et réfléchi (généralement, ça dépend parfois de son humeur du moment) il n’est pas parfait, quatre siècles de vie ne rendent pas parfait. Il ne cherche jamais le conflit, essaie de l’apaiser par la parole et s’efforce d’être un océan de sérénité sur lequel on peut compter, mais si se battre est nécessaire, alors il n’hésitera pas. Et croyez-moi, quand il sort les griffes et montre les crocs, on a pas forcément envie de rester à ses côtés !

Dans son étroite prison plongée dans le noir, la progéniture d’un amour de 800 ans rêve de liberté. Il hésite à s’attaquer aux murs qui l’emprisonnent, qui le replient et l’empêchent de renifler l’air du dehors, le parfum de la liberté. Il se sent certes à l’étroit, mais il est protégé du monde et de ses horreurs, en sécurité. Réconforté malgré ce sentiment d’abandon persistant, et il sait qu’il ne bénéficiera pas de l’aide de ses parents, envolés, disparus. Mais ce n’est pas le moment de laisser tomber, alors Kohaku remue et se secoue, de plus en plus fort, jusqu’à ce qu’une fissure brise la prison et que les ténèbres se fondent. Il s’extirpe avec difficultés et s’effondre contre le sol, respire pour la première fois et s’étouffe violemment, la torture de son corps n’en finit pas.

Les années défilent mais ne se ressemblent pas. Durant ses multiples voyages à travers le monde, Kohaku a rencontré les Hommes. Les humains, créatures surprenantes à l’esprit vif, usant de parole et d’écriture ; d’outils et de machines toujours plus évoluées ; érigeant des villes toujours plus grandes et sophistiquées ; visant des objectifs toujours plus fous. Le Dragon aimait survoler les larges habitations, observer le jeu des lumières lors des périodes de Noël, participait à leurs conquêtes, leurs découvertes et apprenait le monde presque à leurs côtés. Il s’était même montré quelques fois à des Hommes, et de là étaient nées les légendes, et Kohaku ne s’empêchait pas d’en profiter. Il leur venait parfois en aide, sortait des malheureux tombés dans de profondes crevasses glacées, protégeait les défavorisés contre les colères dévastatrices de la nature. Il était heureux, connu parmi son peuple comme le Dragon amoureux des Hommes.
En somme, Kohaku vécu presque avec les humains. Participa à leurs conflits et leurs horreurs, essayant de corriger leurs erreurs et de les rediriger vers la bonne voie. Mais ils étaient plus têtus, plus obstinés que le Dragon qui comprit la vraie nature des Hommes : le mal. A présent gras et paresseux, ils ne se déplaçaient plus qu’en voiture et en avion, engins infernaux qui polluaient, grignotaient et dénaturalisaient la planète bleue, qui se transformait en énorme boule de métal, de gaz et de crimes.

Il a fait la connaissance de Rose, quelques semaines plus tôt. Petite fille absolument adorable, âgée de 9 ans mais déjà si responsable… Son amie, celle qui l’a aidé lorsqu’il s’est écrasé dans l’espace désert des canyons des États-Unis, blessé presque à mort, pas physiquement mais mentalement, trahi par les humains. Les Dragons ne sont pas censés exister, ce sont des légendes ! Et les gentils et honnêtes citoyens ne devaient pas connaître son existence. Les traîtres ont mal finis ; mais Kohaku est pratiquement dans le même état : écorché jusque dans l’âme, profondément affligé par les monstres que sont devenus les Hommes.
Au début, il ne supportait pas la présence de la petite, la repoussait méchamment, mais il ne pouvait pas faire plus, ni la blesser et surtout pas la tuer. Après de longs mois de cohabitation forcée, il ne se laissait plus de ses visites régulières et il s’était épris d’affection pour Rose. Foudroyant. Il s'était rendu compte qu'elle était différente, qu'elle avait bon fond, et il reprit foi en l'espèce humaine.

« Haku, tu me racontes une histoire ? »

Il baisse la tête, l’observe de son regard hypnotisant. Elle est appuyée contre son flanc, les yeux fermés, pelotonnée sous l’épaisse couverture qu’elle a amenée.

« Laquelle ? »

« Celle du petit oiseau. »

Alors dans la soirée, bercé par les dernières lueurs de l’astre solaire disparaissant à l’horizon, la voix de Kohaku s’élève et Rose se blottit contre le Dragon, déjà endormie.

« Il était une fois, un petit oiseau. Pas n'importe quel oiseau, un rossignol. Un de ces oiseaux qui chantent des chansons joyeuses qui font pleurer les jeunes princesses. Le petit oiseau avait une grande famille et ensemble ils chantaient, et ils formaient un splendide orchestre que les plus belles Déesses venaient écouter.
Notre petit oiseau apprenait ses premières chansons quand se produisit un terrible évènement. Courage, un oiseau de sa famille qu'il aimait beaucoup, voulut chanter au sommet du plus grand arbre pour charmer les nuages. Courage voulait que les nuages cessent de faire tomber de la pluie sur le pays des rossignols, car cela les rendaient tristes. Il vola donc jusqu'à la cime d'un grand sapin et chanta une magnifique mélodie. Mais les nuages se mirent à gronder, noirs de colère et déclenchèrent une terrible tempête. Un éclair frappa Courage qui tomba du haut de l'arbre. Le petit oiseau, qui attendait le courageux rossignol au bas du sapin, le vit tomber et atterrir à ses pieds. De tristesse, il cria, cria de toutes ses forces. Et se brisa la voix. »

Rose s’était endormie, sa respiration s’était stabilisée et Kohaku sentait ses paupières s’alourdir. Il s’enroula autour du corps de la fillette et continua malgré la fatigue, emporté par le conte.

« Quand le chagrin fut emporté par le vent, le petit oiseau se remit à parler, mais il ne put jamais plus chanter. Il était très courageux et n'avait pas perdu sa joie de vivre, mais sa petite gorge de rossignol ne se répara jamais complètement. Alors, quand il fut grand, il partit du pays des Rossignols : "à quoi bon rester avec les rossignols qui passent leur temps à chanter, pour les écouter pendant des années sans jamais apporter la moindre note à leurs symphonies ?" Il partit et découvrit le monde des Oiseaux ; le pays des aigles, le pays des colombes, le pays des pies... Et partout où il allait, la même question : "petit Rossignol, nous sommes très tristes, pourrais-tu nous chanter un petit air pour faire sourire nos cœurs ?" Et le petit Rossignol avait beaucoup de chagrin, car il aurait voulu rendre les oiseaux heureux, mais ne le pouvait pas. Alors, il continuait son chemin, en repensant à son pays des Rossignols où il ne décevait personne. "Petit Rossignol" l'appela un jour un vieux cygne, allongé sous un saule pleureur : "pourrais-tu me rendre un grand service pour me faire plaisir ?". "D’accord, mais je ne peux pas chanter." Le vieux cygne rit de bon cœur : "mais qui t'as parlé de chanter, petit Rossignol ? Mes oreilles sont si fatiguées, je ne peux plus apprécier la moindre mélodie, même vos plus belles compositions m'apparaîtraient comme un drôle de brouhaha. En revanche, j'aimerais bien que tu ailles détacher ce beau ruban qui s'est envolé dans l'arbre !" Ravi, le petit rossignol s'envola et ramena le ruban au Cygne. "Merci petit Rossignol ! Tu n'imagines même pas le prix que cela a pour moi". Et le petit Rossignol sourit, car il avait réussi à rendre un oiseau heureux. Alors, il reprit la route et ne fut plus jamais triste de ne pas pouvoir chanter. Maintenant, il le sait et ne l'oubliera pas, même si les Rossignols ont un don musical, ils ne doivent jamais oublier qu'ils sont avant tout des semeurs de bonheur… »

Mais en l’espace de quelques années, le temps d’un souffle pour Kohaku, Rose s’était envolée. Partie, à jamais. Et le Dragon se retrouva errant sans but, déçu par l’humanité, perdu entre ciel et terre. Il s’envola loin, très loin, jusqu’à atterrir sur une étrange lune écarlate où il trouva refuge, et le courage de recommencer à zéro dans un nouveau monde.